Mes Romans

Il n’est jamais trop tard pour se lancer de nouveaux défis. Ecrire un livre peut paraître insurmontable, et puis arrive ce moment magique où les mots défilent sur l’écran, l’histoire surgit, les personnages prennent vie, et soudain comme par enchantement un processus créatif orchestre la narration.
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Un 24 Février

24 février 2022, Tatiana n’oublierait jamais cette date, Poutine avait osé franchir le pas. Sa mère avait perçu avec acuité ses intentions belliqueuses, elle se doutait qu’un jour tout recommencerait, que l’ours sortirait de sa tanière et que son instinct agressif prendrait le dessus. Elle l’avait prédit. Au cours des mois précédents, nombre d’observateurs persistaient à croire que l’inéluctable n’arriverait pas, pourtant, les chars avaient traversé la frontière: la volonté d’un piètre lieutenant-colonel du KGB, paranoïaque et revanchard, avait rapporté la guerre sur le sol de l’Europe.

À son habitude, depuis qu’elle était arrivée, Olga demeurait, la plupart du temps, prostrée, assise sur le rebord de son lit. Deux semaines seulement s’étaient écoulées et force était de constater que, jour après jour, elle continuait de sombrer dans une profonde mélancolie. Le docteur Després, le médecin de famille, lui avait prescrit un antidépresseur et un anxiolytique et, plutôt que de l’aider, le traitement s’avérait désastreux. Elle perdait goût à la vie. Tatiana s’efforçait du mieux possible de la rassurer et de la distraire. Le cœur de la vieille dame, malgré l’attention déployée, demeurait à Kiev, ses pensées se tournaient inlassablement vers son passé. Elle se torturait l’esprit, se livrant au désespoir, la résignation l’emportait et la plongeait dans le néant. Face à cette tragédie, elle se vidait à nouveau de toute énergie. Elle abdiquait. Elle avait traversé semblable épreuve en abandonnant sa jeunesse et ses illusions à un être brutal et abject, car elle appartenait à cette catégorie de personnes que les autres exploitent et avilissent. Au bout de trente années de maltraitance physique et morale, détruite, humiliée, elle avait connu le répit à la mort de son bourreau. 

Béni fut le jour où, elle avait entendu sa canaille de mari, victime d’un malaise, pousser un cri désespéré. Il s’était effondré lourdement sur le sol de la salle à manger, emportant dans sa chute la nappe et la soupière qui trônait sur la table. Elle aurait sans doute pu accourir, tenter quelque chose, alerter un voisin, mais elle avait préféré ne pas bouger de la cuisine. Elle avait fini, sans précipitation, de laver sa vaisselle. Elle avait pris ensuite le temps de l’essuyer avec méticulosité, retardant l’échéance pour se rendre à son chevet. Était-il simplement évanoui ? Avait-il repris connaissance ? Aucun son ne lui parvenait. Après avoir remisé les assiettes et la ménagère, elle s’était résolue à pénétrer dans la pièce contiguë, d’un pas silencieux, avec l’effacement qui caractérisait son statut de femme soumise, surtout ne jamais le déranger au risque de subir ses foudres. En découvrant la scène, elle fut rassurée. Il gisait sur le linoléum, tel un apparatchik du parti, enveloppé dans la nappe aux motifs patriotiques. Le camarade Constantin, Ivanovitch avait soigné sa sortie en s’affublant d’un linceul à la gloire du communisme. 

La mort accomplissait son œuvre, son visage, déjà livide, arborait des traits convulsés, ses deux billes exorbitées fixaient le plafond. Elle crut discerner de l’effroi dans cet ultime regard, mais peut-être exprimait-il de la colère ? Ou pire encore, il semblait une dernière fois la mépriser. Étonnamment, à côté de lui, le couvercle en terre cuite, amorti par son corps, demeurait intact parmi les morceaux éparpillés. Olga s’en saisit et, en guise de masque mortuaire, dissimula la tête épouvantée, non sans avoir placé au préalable, devant ses yeux malfaisants, deux pommes qui traînaient par terre. Fin de la terreur et des horribles angoisses, il ne lui ferait plus peur dorénavant. Elle n’éprouva, à cet instant, aucun sentiment, s’économisant de toute pitié, incapable par ailleurs de le haïr. Elle resta là, à le dominer. C’était son tour. Elle y songea, mais se réfréna pour ne pas lui mettre trois ou quatre coups de pied, histoire de lui rendre ceux qu’il n’avait pas hésité à lui asséner dans les côtes, les soirs où, ivre de vodka, il se défoulait sur elle. Le démon était parti rôtir en enfer. Elle s’était sentie enfin libérée de ses chaînes.

 

— Mama, tu m’entends ? Allez, viens, j’ai préparé un bortsch comme tu aimes.

— Je n’ai pas faim.

— Une petite assiette pour me faire plaisir, s’il te plaît…

— D’accord, soupira-t-elle.

 

Patrick n’était pas encore rentré. Il s’attardait au bureau ou ailleurs. Elle s’en fichait. De toute façon, quand il était là, il se murait dans son silence. Cette situation lui convenait, elle n’avait rien à lui raconter non plus. Ils s’économisaient en paroles. La source s’était tarie. Il arriverait bien après l’heure du dîner. Il passerait par la cuisine, se préparerait un plateau, puis regarderait la télé. Elle regagnerait la chambre. Se coucher, dormir pour oublier, sa seule préoccupation. Elle prendrait un cachet, son sommeil en dépendait dorénavant. Il finirait par la rejoindre dans le lit, très tard. Elle ne l’entendrait pas.

 

Ils se croiseraient brièvement, comme chaque soir. Il aurait pourtant voulu lui parler, lui avouer combien il était désolé de ce gâchis. Il traînerait une nouvelle fois dans le salon, repoussant l’échéance. Elle l’ignorerait. Comment aurait-il pu en être autrement ? Épuisé par la fatigue et les informations sur la guerre en Ukraine qui tournaient en boucle, en un déferlement d’images qu’il croyait appartenir au passé, il se déciderait à aller se coucher. Elle dormirait. Sans bruit, il se glisserait dans les draps. Le sommeil ne viendrait pas tout de suite. Il ressasserait les mêmes pensées. 

Il enviait Vincent, lui au moins profitait de sa vie. Il songeait qu’il s’était conduit comme un beau salopard avec son ami d’enfance. Comment avait-il pu lui jouer un coup pareil ? Il n’aurait jamais dû céder à la tentation. Avec du recul, il croyait avoir compris le mécanisme qui l’avait entraîné sur cette pente. Il avait voulu prendre sa place, s’approprier son bonheur, se substituer à lui. Il paraissait heureux, alors, pourquoi pas lui ? Ne méritait-il pas l’amour ? Si Malee ne lui avait pas été arrachée, cet épisode ne se serait jamais produit, jamais. Il l’avait aimée si fort. Il l’aimait toujours. Personne ne la remplacerait dans son cœur. Il avait pourtant essayé avec Tatiana, seulement il avait ressenti après une période d’euphorie passagère qu’il ne parviendrait pas à effacer Malee. 

Quand se déciderait-il à lui parler, à lui avouer qu’il s’était trompé.

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Tout homme a dans son cœur un lion qui dort

Quand Isabelle annonce à son mari Antoine qu’elle a rencontré un autre homme, c’est un véritable choc. Pour ce père de famille prisonnier d’une vie confortable, la rupture amorce un profond travail d’introspection. En pleine tourmente existentielle, Antoine décide de suivre son intuition : tout quitter et partir sur les chemins de Compostelle.

Je passais de même par ma chambre pour prendre une douche, me préparer, et enfiler le peignoir mis à ma disposition. Dans la salle de bains, devant le miroir aux moulures dorées, je me voyais sous un angle nouveau, calme, apaisé, le teint hâlé, les traits détendus. Mes cheveux, épris de liberté, recouvraient, aujourd’hui, ma nuque.

Je vivais des moments fabuleux. Il y a peu de temps encore, je m’affublais d’un costume sombre. Dans cette vie-là, je tenais le rôle du célèbre agent… immobilier. J’avais coupé le cordon avec la monotonie, les convenances et les faux-semblants. Jour après jour, je me connectais de plus belle à l’authenticité de ma véritable nature. Je m’ouvrais au champ de tous les possibles. Attentif aux signes du destin, je répondais ainsi aux recommandations éclairées de Max.

L’eau, vivifiante, glissait sur ma peau. En apnée, je nageais au fond de la piscine. Son revêtement se parait au milieu d’une rose des vents en émaux de verre bleutés et jaunes. Soudain, l’angoisse me saisit, imprévisible. Les couleurs s’obscurcirent. Pourquoi ici, maintenant ? La noirceur l’emportait. Le froid me gagnait. La forme apparut, hideuse. Notre dernière rencontre datait à présent. Je l’avais presque oubliée.

Le spectre s’agrippe à moi. Enlacés dans les ténèbres. Danse macabre. Je vois mes mains. Elles l’enserrent. Fantôme halluciné, je devine son corps, presque humain. Je le repousse. Je lui échappe. Il se dilue et disparaît.

En remontant à la surface, encore sous le choc, je découvris sur la margelle les pieds de Soraya, puis ses jambes élancées, et la grâce de tout son corps. Nymphe triomphante, vêtue d’un maillot une -pièce, aux motifs géométriques, sa prestance soulignait la hardiesse d’une femme libre. Son regard changea d’expression.

— Vous allez bien, Antoine ? Que vous est-il arrivé ? Un malaise ? Vous êtes tout pâle ?

— Non, non, ça va… rien de grave. Je suis sujet à des troubles au contact de l’eau. Une phobie depuis l’enfance. Mais, c’est fini, la crise est passée.

— Vous êtes certain ?

— Tout à fait. Je vous assure !

— Tant mieux. Je vous rejoins.

Sans précipitation, elle pénétra dans le bassin par l’échelle. À chacun des barreaux, elle marquait une brève pause. J’épiais le moindre de ses gestes délicats. Fasciné par ses formes longilignes, aux proportions parfaites, je me surprenais à échafauder des plans inavouables.

Soraya, beauté des étoiles, mon âme chavirait pour vous. Elle nageait à la perfection. Fluide , harmonieuse, tel un dauphin, animée de mouvements ondulatoires, elle vibrait d’une énergie généreuse.

— Quel plaisir, Antoine ! Nous avons de la chance, nous sommes seuls. Profitons-en !

J’en étais conscient, chaque instant, près d’elle, se devait d’être vécu avec enthousiasme.

— Je ne rêvais pas si agréable escale au Maroc !

— Vous entamez sa découverte ! Et cette journée ne vous a sans doute pas tout dévoilé !

— Je serais ravi de vous inviter à dîner, Soraya. Connaissez-vous un restaurant où vous voudriez aller ?

— J’ai ma petite idée ! J’aimerais vous présenter un lieu typique près d’ici. On y mange de succulents tajines. Donnons-nous rendez-vous à la réception. Dans une heure. Cela vous convient ?

— Avec joie !

Je la suivis du regard quittant le patio. Sa manière unique de se déplacer, en douceur, à pas feutrés, suggérait celle d’un chat. Il émanait de son être une aura envoûtante.

Chlore ? Émotion ? Je me frottais les yeux, troublé par cette vision surnaturelle. Celle-ci me faisait oublier l’autre, surgiet inopinément. Pourquoi diable le monstre d’antan avait-il réapparu dans ce lieu idyllique ?

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